Quand j'étais nous. Chapitre 4
Elle me traîne parfois au marché mais c'est de bonne guerre : elle m'a suivi sur des centaines de kilomètres autrefois. Elle me fait sentir des fruits et je commence à m'intéresser sérieusement aux légumes. J'aime les formes régulières et les peaux qui brillent. Elle préfère les tomates et les patates cabossées. Au début, les gens nous observaient. Je n'avais plus l'habitude de ce regard posé sur nous deux. Je baissais la tête. Elle m'a murmuré: « Redresse-toi». Et alors là, comme avant, j'ai eu envie de tous les cogner. Maintenant, je suis plus calme. Nous choisissons nos légumes ensemble et je suis content. Je crois même que nous croisons parfois quelques personnes à l'air aimable. La fille des voisins est enceinte. Elle, elle scrute son ventre et ses nichons. Moi aussi je regarde un peu. Il faut dire qu'elle est jolie avec ce petit bidon et ses seins gonflés. Mais les poivrons jaunes et rouges m'intéressent davantage. Il arrive qu'elle parte seule tandis que je repeins les volets. Elle traverse l'allée. Je m'arrête et la regarde avancer. Elle me plaît. Et si on s'est envoyé en l'air le matin même ou dans la nuit, elle me plaît encore plus. C'est un peu con peut-être, mais je me sens fier.
On dirait que la vieille maîtresse d'école passe sa vie au marché. Quand il l'aperçoit il m'entraîne avec lui derrière un parasol et nous attendons qu'elle disparaisse en pouffant. S'il réagit trop tard, il se cache tout seul et en toute hâte derrière des aubergines et m'abandonne à elle. Mais elle ne s'attarde jamais quand il est dans les parages. Je crois qu'elle a peur de lui. En revanche, lorsque je me promène seule, elle ne manque jamais une occasion de m'importuner. «Tu sais qui habite désormais dans la maison de tes parents ? », « Mais tu ne travailles plus ? », « La France ne te manque pas ? », « Tu ne te sens pas seule ici ? ». Elle corrige mes fautes quand je parle. « Peut-on vraiment oublier sa langue natale ? » Je n'ai pas envie de m'énerver, à ses questions je réponds par quelques citations ou quelques réflexions météorologiques, ce qui l'agace assurément. Elle peut bien aller au diable ! La fille des voisins est enceinte. Son mari est un type charmant, quoiqu'un peu timide. Je songe à les inviter à dîner. Elle, elle est ravissante. Son ventre s'arrondit de semaine en semaine. Ses seins ont doublé ou triplé de volume, c'est très impressionnant. Ses mollets et son cou ont un peu gonflé mais cela ne semble pas entamer sa bonne humeur. Elle me parle de sa grossesse en dessinant des cercles sur son ventre. C'est bien le genre de conversation qui d'ordinaire m'ennuie à mourir. Mais là c'est très différent ; de l'écouter, ça me colle aux tripes l'envie de porter un enfant. Il est midi, je rentre. Le soleil se situe juste au-dessus du grand pin. Je tends mon visage vers lui et le laisse me brûler quelques instants. C'est bon. Il a repeint les volets en blanc. Il finit d'accrocher le dernier à la fenêtre du salon. Aujourd'hui, la misérable façade gris souris/bleu charrette a ressuscité. Il se tourne vers moi et m'invite à la contempler. Il sourit de toutes ses dents noires tant il est fier.
Partout sur les meubles et sur les murs, elle dépose ou accroche des objets jaunes qu'elle a achetés aux puces, trouvés ou récoltés : une petite assiette en terre cuite, une gerbe de blé, des perles en verre ou des boutons en plastiques, des renoncules dans un vase transparent, des bouts de carrelage en céramique... Je la découvre poète et j'aime bien ça. Ça et là, je glisse une erreur dans ses arrangements : un pot de moutarde, une banane, un verre de bière... Elle se marre quand elle les trouve et elle dit que ça lui plaît.
Il a brûlé tous les anciens draps de lit. Un matin très tôt, alors que j'étais encore couchée, la lumière du brasier est venue jusqu'à moi. Je me suis levée et ai regardé par la fenêtre. Il était planté devant son feu. Je l'ai rejoint et ai observé les flammes percer le lin et avaler les initiales brodées. O.J. Il dépose des objets jaunes incongrus dans mes compositions jaunes. Je retrouve une balle de ping-pong, un pot de moutarde, un post-it sur lequel sont griffonnés quelques mots dans une langue qui n'existe pas. Je laisse tout en place. La fille des voisins et son mari sont venus dîner l'autre soir. Son ventre est désormais très rond, il est bien lourd et semble vouloir se détacher d'elle, mais cela n'a pas l'air de la gêner. En se couchant ce soir là, il m'a dit : « J'aimerais bien qu'on fasse un voyage ensemble ».
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On dirait que la vieille maîtresse d'école passe sa vie au marché. Quand il l'aperçoit il m'entraîne avec lui derrière un parasol et nous attendons qu'elle disparaisse en pouffant. S'il réagit trop tard, il se cache tout seul et en toute hâte derrière des aubergines et m'abandonne à elle. Mais elle ne s'attarde jamais quand il est dans les parages. Je crois qu'elle a peur de lui. En revanche, lorsque je me promène seule, elle ne manque jamais une occasion de m'importuner. «Tu sais qui habite désormais dans la maison de tes parents ? », « Mais tu ne travailles plus ? », « La France ne te manque pas ? », « Tu ne te sens pas seule ici ? ». Elle corrige mes fautes quand je parle. « Peut-on vraiment oublier sa langue natale ? » Je n'ai pas envie de m'énerver, à ses questions je réponds par quelques citations ou quelques réflexions météorologiques, ce qui l'agace assurément. Elle peut bien aller au diable ! La fille des voisins est enceinte. Son mari est un type charmant, quoiqu'un peu timide. Je songe à les inviter à dîner. Elle, elle est ravissante. Son ventre s'arrondit de semaine en semaine. Ses seins ont doublé ou triplé de volume, c'est très impressionnant. Ses mollets et son cou ont un peu gonflé mais cela ne semble pas entamer sa bonne humeur. Elle me parle de sa grossesse en dessinant des cercles sur son ventre. C'est bien le genre de conversation qui d'ordinaire m'ennuie à mourir. Mais là c'est très différent ; de l'écouter, ça me colle aux tripes l'envie de porter un enfant. Il est midi, je rentre. Le soleil se situe juste au-dessus du grand pin. Je tends mon visage vers lui et le laisse me brûler quelques instants. C'est bon. Il a repeint les volets en blanc. Il finit d'accrocher le dernier à la fenêtre du salon. Aujourd'hui, la misérable façade gris souris/bleu charrette a ressuscité. Il se tourne vers moi et m'invite à la contempler. Il sourit de toutes ses dents noires tant il est fier.
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Partout sur les meubles et sur les murs, elle dépose ou accroche des objets jaunes qu'elle a achetés aux puces, trouvés ou récoltés : une petite assiette en terre cuite, une gerbe de blé, des perles en verre ou des boutons en plastiques, des renoncules dans un vase transparent, des bouts de carrelage en céramique... Je la découvre poète et j'aime bien ça. Ça et là, je glisse une erreur dans ses arrangements : un pot de moutarde, une banane, un verre de bière... Elle se marre quand elle les trouve et elle dit que ça lui plaît.
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Il a brûlé tous les anciens draps de lit. Un matin très tôt, alors que j'étais encore couchée, la lumière du brasier est venue jusqu'à moi. Je me suis levée et ai regardé par la fenêtre. Il était planté devant son feu. Je l'ai rejoint et ai observé les flammes percer le lin et avaler les initiales brodées. O.J. Il dépose des objets jaunes incongrus dans mes compositions jaunes. Je retrouve une balle de ping-pong, un pot de moutarde, un post-it sur lequel sont griffonnés quelques mots dans une langue qui n'existe pas. Je laisse tout en place. La fille des voisins et son mari sont venus dîner l'autre soir. Son ventre est désormais très rond, il est bien lourd et semble vouloir se détacher d'elle, mais cela n'a pas l'air de la gêner. En se couchant ce soir là, il m'a dit : « J'aimerais bien qu'on fasse un voyage ensemble ».
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