Suzanne... ( 3 )

3.
Le feu


Quand Évelyne et Zoé s'isolent, Nicolas et moi restons ensemble. Je le répète, je n'aime pas les tête-à-tête, encore moins avec un homme, cela va sans dire. Seule avec Nicolas, je me sens encore plus mal à l'aise que je ne l'étais avec Évelyne, et même, je panique un peu, certes parce que je n'ai pas l'habitude, mais aussi parce que sa présence me trouble. Nous lisons beaucoup, nous parlons peu. Le plus souvent je me dissimule derrière un livre, mais il arrive qu'il passe derrière moi et se penche au-dessus de mon épaule pour lire quelques lignes. Je rougis comme une collégienne en espérant que, de là où il se tient, il ne le voit pas. Son attitude ambiguë ajoute à la confusion ; je me demande parfois s'il essaie de me séduire, et me sens bien ridicule l'instant d'après. Mais ses approches se multiplient même en présence des autres.
— Tu lui plais, me dit Zoé.
— Mais non.
— Mais si.
C'est d'Évelyne que vient finalement la réponse un jour que je raccommode un chandail élimé (que je porte souvent depuis mon arrivée, au point où il serait presque devenu une pièce fétiche).
— Tu es si gracieuse, Suzanne. Dans tout ce que tu fais.
Je lève les yeux de mon ouvrage, les lunettes sur le bout du nez, mon visage affichant sans doute air cet air ballot que je me connais bien et dont j'aimerais bien une fois pour toutes me débarrasser, puisqu'elle me répond en riant :
— Ah ! Ne fais pas comme si tu ne le savais pas ! Bien sûr que tu es gracieuse !
Et puis, se penchant légèrement vers moi, elle ajoute en baissant la voix, comme si elle me soufflait une confidence d'amie :
— Tu sais, Nicolas est d'accord avec moi. D'ailleurs tu es tout à fait son genre de femme.

*

Lorsque la voiture d'Irène s'est garée ce jour-là devant la maison, j'ai tout de suite su que c'était elle, et puis j'ai identifié ses pas. N'est-ce pas étrange de reconnaître une personne avec une certitude absolue au seul son que produit le moteur de sa voiture ou la semelle de ses chaussures sur le gravier ? Je l'ai attendue et maintenant je vais vers elle avec hâte, mais mon plaisir de la revoir s'évapore presque aussitôt. Elle se laisse passivement embrasser, le visage crispé. Nous nous installons dans le salon et elle nous raconte comment les flics sont venus la voir et comment elle leur a menti par omission de la façon dont je l'avais imaginé. Apparemment, elle a fait ça très bien, et à l'en croire, ils ne devraient pas revenir. Ils lui ont notamment demandé si je m'étais confiée à elle à propos d'éventuelles violences conjugales, ce à quoi elle a répondu qu'elle ne savait rien. « Que pouvais-je bien dire d'autre ? » Elle répète plusieurs fois que c'était une expérience très désagréable. Évelyne et Nicolas semblent préoccupés eux aussi. Comme eux, je devrais l'être, mais, sans trop savoir pourquoi, je ne parviens pas à saisir la gravité de tout cela. En fait la mauvaise humeur d'Irène a fini par me contaminer et sa présence m'importunerait presque. De plus, c'est l'heure de la promenade, mais elle dit qu'il fait trop froid dehors et qu'elle n'a pas envie de marcher. Zoé nous observe du coin de l’œil, puis elle se lève et suit Évelyne et Nicolas. En passant, elle pince affectueusement le lobe de mon oreille. Je les regarde tous trois qui sortent.
— Zoé est vraiment une fille adorable, murmure Irène, retrouvant un peu de sa douceur.
— C'est vrai. Et en plus elle est drôle. Je ne l'imaginais pas si drôle, en fait. Il faut dire qu'elle commence à aller mieux.
Irène verse délicatement du thé dans nos tasses.
— Et comment ça se passe avec Évelyne et Nicolas ?
Je fais glisser quelques petits beurres hors de leur boîte sur une assiette.
— Très bien. Évelyne aurait pu être une bonne thérapeute. Elle l'est en quelque sorte. On parle beaucoup et ça me fait du bien. Je ne sais pas encore où j'en suis, ni ce que je dois faire, mais j'ai l'impression de me réveiller tout doucement. Enfin, je crois. Irène, les yeux plissés, aspire un peu de thé brûlant du bout des lèvres et semble réfléchir à ce que je viens de dire, mais finalement elle dépose sa tasse sur sa coupelle, et comme elle est alors penchée vers moi, elle garde la position et me demande encore :
— Et Nicolas ?
Je ne saurais dire si c'est de la curiosité ou de la malice que je lis sur ses lèvres, je sais en revanche que ce sourire-là me déplaît instantanément. Comme je ne réponds pas, elle poursuit :
— Vous avez couché ensemble ?
Irène, l’intrigante. Ça lui va mal. Je réponds un peu sèchement et feignant assez bien, ma foi, d'être indignée par la question.
— Non, Irène, nous n'avons pas couché ensemble.
— Non ?
Elle saisit un biscuit sur l'assiette et le grignote avec ce même air amusé.
— Non, Irène, et ça n'arrivera pas.
— Allons, allons, ma chère Suzanne. Je vois bien comment il te regarde. Et comment tu le regardes ! Et je te dis que cela arrivera comme deux et deux font quatre. Et alors quoi ? Ne prends pas cet air outré ! Évelyne montre une grande largesse d'esprit s'agissant des affaires de son mari, tu sais. L'inverse est vrai aussi, d'ailleurs. Et moi je te dis qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien.
— Ça veut dire que toi, tu as couché avec lui.
Elle se penche une fois encore vers moi, sans se départir de ce sourire qui me déconcerte de plus en plus :
— Peut-être... Ah là là, Suzanne, ne fais pas cette tête ! Bon sang, ce que tu peux être sérieuse !
Irène bascule dans son fauteuil, pose ses mains sur les accoudoirs, me regardant et poussant un soupir profondément ennuyé.
— Bon, et sinon, as-tu déjà appelé ta sœur ?, me demande-t-elle par politesse.
— Non.
— Tu devrais le faire.
— J'y pense.

*

Un peu plus tard dans l'après-midi, Paule et Mado viennent nous visiter. Mado est émue parce que son fils a frappé à sa porte après douze longues années d'absence et de silence. Tout le monde savoure son bonheur. Une victoire pour l'une est une victoire pour toutes les autres et un peu d'espoir à partager.

Après le repas, Zoé et moi sortons et nous asseyons sur le perron pour fumer une cigarette de secours, comme l'appelle Zoé, tirée d'un paquet oublié ou laissé là par on ne sait qui, ni on ne sait quand, mais il y a sûrement longtemps déjà, car le tabac enroulé dans la feuille croustille sous nos doigts tant il est sec, et la fumée est brûlante. Nous regardons autour de nous la vaste forêt de sapins dont l'ombre noire crénelée découpe un ciel presque aussi sombre.
— Tu devrais te méfier d'Irène, lâche Zoé en regardant droit devant elle.
Me méfier d'Irène ? Mais enfin, c'est ridicule. C'est mon amie.
Zoé tire sur la cigarette et me la tend en recrachant la fumée.
— Tu es comme moi, Suzanne, tu ne sais plus ce que c'est que d'avoir des amis.
Mais toi et moi nous sommes amies, n'est-ce pas Zoé ?
Zoé pose sa main sur mon poignet et le serre fermement.
Toi et moi, c'est différent.

La nuit est agitée. Irène me passe sous les yeux sous d'autres traits, ceux d'une inconnue, mais c'est bien elle. Son attitude à mon égard est hostile, et moqueuse. Je me réveille. Voilà que je pense à mon mari qui se mettrait à ma poursuite, qui pourrait retrouver ma trace, qui pourrait même m'épier, être là sous ma fenêtre, attendant le bon moment pour grimper jusqu'à moi et m'étrangler dans mon sommeil ou m'étouffer sous mon oreiller. C'est ridicule, je me dis, mais je me lève quand même et regarde au-dehors à travers les voilages, juste pour en finir avec cette idée. Je m'assieds sur mon lit et maintenant je songe à moi, à la femme disparue que je suis devenue. Je trouve l'expression insupportable, et ça y est, je pleure, en silence, parce que j'ai de la peine pour moi. Au bout d'un moment qui me paraît assez long, n'ayant plus rien à pleurer, je me trouve vidée, mais loin de pouvoir me rendormir et toujours aussi affreusement triste et seule. Je me couche sur le dos, les bras le long du corps, ferme les yeux et m'efforce de respirer calmement. Je me vois me relever, descendre les escaliers, traverser le couloir et entrer dans la cuisine. Je fais chauffer de l'eau. Quelqu'un me rejoint. C'est Nicolas. Sa silhouette se détache de la pénombre. Il porte une chemise de nuit blanche toute droite et simple qui tombe en dessous de ses genoux. Je suis adossée à la fenêtre, une tasse fumante à la main. J'ai la posture de celle qui attend quelqu'un. Il avance doucement vers moi, le voilà tout près, si près que le bout de ses orteils touche le bout des miens. Je dépose la tasse sur la table à côté. Il m'attire à lui et me prend dans ses bras, longtemps. Il passe ses mains dans mon dos, elles remontent dans ma nuque, il attrape fermement mais sans tirer mes cheveux, et me serre plus fort contre lui. Je sens son souffle chaud dans mon cou, je m'entends haleter dans le sien. Il me détache toujours aussi fermement mais lentement de lui, recule un peu, m'observe. D'une main, il tient fort mon avant-bras gauche, de l'autre, il commence à caresser mes seins à travers le tissu de ma chemise de nuit. Le frottement du coton sur mes tétons est légèrement douloureux. Il plonge sa main dans ma chemise de nuit et palpe mes seins tout en embrassant mon décolleté. Il se presse tout contre moi. Je sens son sexe durci s'appuyer contre le mien. Il lâche mon avant-bras, se baisse un peu et fait remonter cette deuxième main le long de mes cuisses jusqu'à mon entre-jambes. Et ça s'arrête là. Mon esprit a résisté, il a fait barrage. J'ouvre les yeux. Je suis couchée dans mon lit sur le dos, les mains à plat sur ma poitrine.

Au réveil, je me sens un peu honteuse et surtout un peu pathétique. J'observe mes seins dans le miroir et je leur trouve hélas l'allure de deux escalopes. Je repense à Irène, « Ah, ma chère Suzanne, tu es trop sérieuse », et je décide de ne pas me laisser aller au vague à l'âme de la veille. La journée se déroule, paisible. J'évite juste de croiser le regard de Nicolas. Évelyne est de bonne humeur.
— Samedi soir nous recevons, déclare-t-elle un peu solennellement au déjeuner.
— Nous recevons ?
— Des amis, Suzanne. Il existe aussi des amis en dehors du chalet ! Hugues et Serges seront nos invités. Ce sont de bons vivants. Ils sont négociants en vins et spiritueux, et d'ailleurs, ils apporteront le vin. Quant à toi, Suzanne, tu nous ferais un grand plaisir si tu acceptais de nous préparer un bon dîner.
— Bien sûr, Évelyne, je serai ravie de pouvoir faire ça.
— C'est formidable ! Tu sais que nous autres ne sommes pas très doués en cuisine. Dresse-moi une liste de tout ce dont tu as besoin. Nicolas et moi irons faire les courses demain. Ne regarde pas à la dépense. Ah, et puis, ne te prive pas de faire du poisson !

*

— Je pense faire un suprême de volaille aux champignons. C'est de saison. Ou du magret de canard à l'orange... Tout le monde aime le magret de canard à l'orange. Tu en penses quoi, Zoé ?
— Tu sais bien que la cuisine et moi, ça fait deux, Suzanne, mais ça sera sûrement très bon, quoi que tu fasses. Dis donc, tu m'as l'air très enthousiaste à l'idée de ce dîner, je croyais que ce n'était pas vraiment ton truc ?
— C'est vrai, mais je suis contente de pouvoir me rendre utile. Et puis j'ai envie de leur faire plaisir. Comment ils sont Machin et Machin ?
— Hugues est gentil.
— Et Serge ?
Zoé fait la moue.
— Je ne l'aime pas beaucoup.
— Pourquoi ?
— Je ne l'aime pas, c'est tout.

*

Évelyne a suggéré que l'on « s'habille » pour l'occasion. Je n'ai jamais vraiment su comment « m'habiller » pour une occasion. Des tissus un peu plus nobles, des vêtements un peu plus chers, que l'on ne porterait pas un jour de semaine, un nuage léger de parfum, une paire de puces d'oreilles en or serties d'un saphir, l'améthyste de ma grand-mère à l'annulaire droit et éventuellement un peu de rouge à lèvres rose pâle. Je n'ai bien sûr rien de tout cela avec moi. Du reste, je n'ai pas envie de « m'habiller ». Je reste interdite devant l'armoire remplie de vêtements pour certains appartenant à des femmes que je n'ai pas connues, passées là avant moi, pour d'autres achetés par Évelyne, m'a-t-elle dit, choisis selon des critères qui sont pour moi mystérieux, car rien ne me plaît. À mon arrivée, j'avais choisi trois tenues à ma taille parmi les plus simples et les plus confortables. Mais à cet instant, je me trouve perplexe et désarmée. Zoé apparaît dans l'encadrement de la porte. Elle est toute de noir vêtue, robe-pull un peu large et assez courte, collants opaques, et toute poudrée. Elle a ramené ses cheveux sur le sommet de sa tête et souligné ses yeux de noir. Elle porte de longues boucles d'oreilles fantaisie argentées de genre oriental.
— Eh bien, ma petite Zoé ! Te voilà métamorphosée !
— Tu as vu ? On dirait... une femme !
— Une femme fatale !
— Et toi, qu'est-ce que ça raconte ?
— Rien de spécial. Rien n'est à mon goût.
Elle inspecte à son tour l'armoire, sans conviction.
— Il y a encore des choses dans la malle.
Nous voilà assises par terre sur la moquette bleue devant la malle. Nous l'ouvrons et en fouillons consciencieusement le contenu. C'est pire là-dedans. Des vêtements bigarrés, synthétiques, laids. Zoé déniche un chemisier en simili-satin fuchsia, affreusement, douloureusement criard, dont la seule qualité est qu'il semble — c'est étrange — infroissable. Elle m'encourage à l'essayer et à le garder.
— Je te jure que cette couleur te va bien !
— Zoé, je t'en prie, c'est horrible. En plus il y a une tâche de graisse !
— Où ça ?
— Là ! Au milieu de la poitrine !
— Mais enfin, personne ne la verra. Fais-moi confiance. Tu es belle à tomber.
— N'importe quoi.
Elle insiste ensuite pour me maquiller et je l'y autorise en maugréant. Nous sommes toujours là, assises face à face sur le sol, et elle applique une pâte collante sur mes lèvres qu'elle appelle un gloss.
— C'est brillant mais transparent, affirme-t-elle, comme si cela devait suffire à me rassurer. Ensuite, du bout d'un épais pinceau, elle dépose délicatement une poudre rose sur mes joues, puis veut maquiller mes yeux en noir, mais je m'y oppose. Sa revanche est terrible.
— Tu mettras ça ! Elle balance sous mon nez une paire de longues boucles d'oreille pendulaires fantasques très Prisunic.
— Hors de question, Zoé !
— Suzanne ! Fais un effort !
Une fois encore, j'abdique. Zoé doit d'abord venir à bout de la peau morte de mon oreille percée qu'aucun bijou n'a traversée depuis très longtemps. Elle force un peu, je grimace, elle grimace aussi. Le lobe de mon oreille chauffe, mais enfin la chose passe, je la sens qui pendouille et gigote dans mon cou en carillonnant. Alors Zoé s'attaque à l’autre côté.

La sonnette de la porte d'entrée retentit. Les invités sont là. J'aurais préféré me trouver en bas avant leur arrivée. Faire mon entrée affublée de tous ces artifices me tracasse. Hugues a la quarantaine, Serge, sans doute plus de soixante ans, ils sont habillés de façon élégante, costume-cravate, chaussures cirées. Ils nous saluent chaleureusement, en particulier Zoé qu'ils connaissent déjà et qu'ils prennent tour à tour dans leurs bras. Hugues est un homme massif, gros ; son estomac bombé déborde de son pantalon et défie les boutons de sa chemise de ne pas lâcher. Zoé semble encore plus frêle contre ce ventre monumental. Serge porte aussi une belle bedaine mais sur un corps mince. D'ailleurs son visage est maigre, presque émacié. Ses pommettes sont saillantes, ses yeux cernés, et son teint trahit à l'évidence des années d'un tabagisme actif. Son haleine et l'odeur qu'il porte sur lui, sur ses vêtements, sur ses cheveux, indiquent qu'il fume encore.

Les présentations ayant été faites, je m'empresse d'enfiler mon tablier, mince bouclier de coton qui viendra recouvrir au moins en partie le grotesque chemisier et cacher la tâche de graisse. Je me sens mieux. Je m'attends à ce que Zoé me lance un regardeur désapprobateur, mais Hugues et Serge l'ont visiblement assaillie ; derrière eux, je ne vois plus d'elle que ses pieds fins dans ses petites ballerines noires.

Ils prennent tous place autour de la table de la cuisine et je réalise brutalement que la pièce est bien trop exiguë pour recevoir tout ce monde. Évelyne, l'hôtesse à l'allure impériale, siège en bout de table, Zoé est coincée sur le banc de coin entre Hugues et Serge, Nicolas s'est assis en face, la chaise vacante à ses côtés m'est réservée. Évelyne m'interpelle : « Laisse donc cela pour l'instant et viens boire une coupe de champagne avec nous ! » Je retire mes feuilletés du four ils sont dorés et adorables  les glisse sur une grande assiette et les porte à table. Hugues lève haut son verre et propose de trinquer à la vie, aux affaires, à nos souhaits les plus intimes, dans cet ordre. Je reconnais que le champagne est bon à la première gorgée. J'ai toujours adoré le champagne. Je le savoure religieusement quand tout autour la conversation s'anime déjà. Les mains s'abattent sur les petits feuilletés à un rythme soutenu que je n'avais pas prévu et je regrette de ne pas en avoir préparés davantage.

Mon verre se remplit sans que je comprenne bien qui se trouve de l'autre côté de la bouteille. C'est Nicolas, je crois, qui m'a resservie. Ils parlent d'un ami commun qui se serait fait grossièrement plumé par son associé, mais finissent par en rire si bien que je me demande s'il s'agit vraiment d'un ami. Je me force à sourire, mais déjà plus personne ne fait attention à moi. Tant mieux. Je me lève, mon troisième verre de champagne à la main. J'ai une couronne de saumon à préparer. Je démoule la couronne dans un plat et l'admire fièrement. Elle est belle, toute rose, toute lisse et brillante. Je remarque que je suis un peu saoule. Je ne boirai plus jusqu'au dessert, me dis-je, juste un peu avant que ne saute le bouchon d'une nouvelle bouteille de champagne. J'entends vaguement parler d'un scandale impliquant des footballers et une call-girl mineure. Je décore ma couronne de crevettes, de salade, de rondelles de citron et parsème de l'aneth ciselé sur l'ensemble. Je reviens à table ma couronne entre les mains, mais Évelyne me réprimande durement : « Eh bien Suzanne, tu es pressée, nous avons le temps ! Mais enfin puisque tu es là, alors mangeons ». Mon corps s'immobilise instantanément tandis que pareillement tout le monde s'arrête de parler et de boire, comme si la scène venait de se figer. Je suis atrocement gênée et je me sens flanchée au moment où je dépose finalement le plat au milieu de la table. Nicolas se penche discrètement vers moi : « Tout va bien, ne t'en fais pas, ça m'a l'air délicieux ». Zoé me lance un clin d’œil amical et rassurant. La conversation reprend dans le calme. Toujours fébrile, je sers les parts qui tremblent légèrement sur la pelle à tarte sans que toutefois personne ne s'en aperçoive, sinon peut-être Nicolas. On reste au champagne. Je pose à plat ma main sur mon verre à deux reprises. J'avale des petites bouchées au-dessus de mon assiette et observe les uns et les autres du coin de l’œil. Entre Hugues et Serge, Zoé est écrasée. Malgré cela, je la vois qui tangue faiblement. Elle boit trop et ne mange rien. Elle siffle un verre après l'autre et il y a toujours quelqu'un pour la resservir. J'aimerais que son regard croise le mien, mais cela n'arrive pas. Hugues a passé son lourd bras sur ses étroites épaules, quant à Serge, je crois bien qu'il a posé sa main sur sa cuisse. J'aimerais extirper Zoé de là, sauf que j'ose à peine bouger.

L'entrée est finie depuis un long moment déjà et le laps de temps raisonnable entre deux plats est sans aucun doute dépassé, mais je ne me risquerais pas à poursuivre les préparatifs du repas, j'attends que l'on m'adresse un signal ou un ordre direct, quelque chose. « On pourrait peut-être passer à la suite ? », suggère Nicolas. Je me lève alors et débarrasse prestement les assiettes et le plat tout en cachant au mieux le soulagement que j'éprouve à me retirer. Nicolas me propose son aide que je refuse poliment. Un pan de mur sépare partiellement les fourneaux de la table, si bien qu'en m'inclinant légèrement devant l'évier, je parviens à ne plus être vue des autres ; je prends une profonde respiration silencieuse et me redresse. J'ai des magrets de canards à préparer. J'entaille profondément leur peau en formant des croisillons, les pose dans la poêle, à feu doux, et j'attends que fonde la graisse. J'essaie de réfléchir avec calme et objectivité à ce qui se passe à côté, mais mon esprit est embrouillé. Je prélève le zeste de trois oranges, que je presse ensuite. Il fait trop chaud, nous sommes serrés les uns contre le autres, Serge, je ne l'aime pas beaucoup. Évelyne... Je réchauffe à feu doux la purée de pommes de terre violettes, d'une part, les fagots de haricots d'autre part. Elle était si glaciale. Elle m'en veut, c'est certain. Je jette la graisse fondue au fur et à mesure jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus du tout et que la peau des magrets soit grillée. Je les retourne et augmente le feu, il faut les saisir mais ils doivent rester saignants. Peut-être que je me fais des idées, peut-être que je suis incapable de profiter d'une soirée entre amis. L'ambiance est bonne alors pourquoi ai-je le sentiment que ce dîner tourne au fiasco ? Je retire les magrets et les réserve au chaud. J'ôte le maximum de graisse de ma poêle et déglace avec le jus d'orange en grattant bien les sucs. J'ajoute des zestes d'orange et fais cuire à petit feu. Peut-être que mon mari a raison. J'ai peut-être un problème. Je dresse les assiettes, mais je ne suis plus assez concentrée et ma main est peu assurée, la sauce brune glisse vilainement sur la viande, la purée n'est pas assez ferme, les quenelles que je voulais élégantes s'effondrent dans les assiettes formant un triste amas bleuâtre, les haricots entourés de leur tranche de lard sont trop cuits. Je suis abattue.

Je retourne auprès des convives et sers le plat raté dans l'indifférence générale. Seule Évelyne me prête attention, mais c'est durement qu'elle me regarde. Elle qui voulait un beau repas, elle doit être déçue. On fait passer les assiettes. Hugues hume le contenu de la sienne : « Magret de canard à l'orange, voilà qui est bien ! On n'en voit plus beaucoup à la carte des restaurants, et pourtant j'aime ces plats traditionnels ! » Ce qui se voulait être un compliment, je le prends comme une offense. Je me vois baisser la tête et je devine, je sens, l'agacement d’Évelyne s'accroître.

En mon absence, ils ont débouché un Nuits-Saint-Georges premier cru et mon verre en est plein. Le vin est délicieux. Tout le monde mange avec appétit sauf Zoé qui ne cesse de ratisser doucement la purée du bout de sa fourchette. « C'est curieux, cette couleur violette », commente-t-elle. Quelques mots sortent enfin de ma bouche mais la voix que j'entends alors, comme si elle venait d'ailleurs, cette voix-là est faible et hésitante : « C'est de la vitelotte noire ». « Vitelotte noire », répète-t-elle, pensive. « C'est très bon », ajoute Serge. « Oui, c'est très bon », acquiesce Nicolas, achevant ainsi la seule conversation à laquelle j'aurais pris part ce soir.

Bruits de couteaux qui crissent sur la porcelaine, de vin rouge qui coule dans les verres, propos politiques, considérations météorologiques, blagues grivoises, fous rires, je vide un nouveau verre et la tête me tourne. Évelyne a retrouvé sa bonne humeur. Çà et là, Serge touche son genou ou passe sa main sur sa cuisse d'une façon qui devrait déplaire à Nicolas, qui pourtant ne s'en offusque pas. Nicolas parle moins que les autres, rit moins fort, mais à l'évidence il passe un bon moment moment. Zoé aussi a repris du poil de la bête, depuis qu'ayant barré son assiette avec ses couverts, elle a décidé qu'elle ne mangerait plus rien. Elle chasse les mèches de cheveux qui tombent sur ses yeux, rit aux éclats à tout propos. Hugues lui chuchote quelque chose à l'oreille, Serge fait glisser un index depuis la base de son oreille jusqu'au bout de ses doigts.

Restent le fromage et le dessert. « Ne bouge pas , me commande gentiment Nicolas, je m'occupe du fromage ». Le plateau me passe sous le nez et l'odeur du roquefort me donne la nausée. Je vide mon verre. Je crois que c'est le deuxième. Peut-être le troisième. Quelqu'un m'en sert un autre, je voudrais protester, c'est trop tard. Je suis saoule, maintenant. Nicolas passe sa main dans mon cou, et je ressens soudain la seule sensation agréable de la soirée. Je laisse aller ma tête sur son épaule. Je me reprends, je ne veux pas froisser Évelyne, mais je m'aperçois qu'elle nous observe d'un air satisfait. J'y retourne. Je sens ma vilaine boucle d'oreille métallique s'écraser contre la peau de Nicolas. Peu importe, il m'entoure de son bras. Je ferme les yeux. Je n'entends plus qu'un ronronnement chaleureux et sympathique. Je souris certainement. Nicolas exerce une pression de sa main sur mon épaule qui me ramène à la surface, j'ouvre les yeux et me redresse un peu, il tient mon verre de vin à nouveau plein et le porte jusqu'à ma bouche. Je bois. Les mains de Serge ont disparu sous la table.

Personne jusqu'ici n'avait fumé dans la cuisine. Même Serge, le grand fumeur s'en était abstenu. Mais Évelyne lui demande une cigarette qu'il lui offre et qu'il allume avec un lourd briquet en argent, puis, paquet tendu, il se tourne vers Zoé qui en extirpe une, s'apprête à m'en proposer, mais je refuse d'un geste de la main. L'air se charge d'une fumée blanche épaisse. De l'autre côté de la table, je distingue à peine la silhouette de Zoé qui semble peu à peu s'évaporer. Je me sens suffoquer. Je dois sortir d'ici. Je vais profiter de ce nuage dense pour disparaître sans être vue. Je me lève, me tiens à la chaise à ma gauche et la pousse de la paume pour me donner de l'élan, ça y est, je sors de la bulle, mon corps s'est détaché du groupe des gens attablés, je suis en route, je traverse la cuisine, on m'appelle, je crois bien, on prononce mon prénom, très certainement, de l'autre côté de la masse de fumée, mais je ne m'arrête pas, je m'étonne d'y être parvenue, mais me voilà dans l'escalier, dans le couloir à l'étage, dans ma chambre. Je tombe à la renverse sur mon lit. J'ai réussi à me sauver mais je me sens mal mal mal. Je redresse mon bras et ouvre la fenêtre, je pose mon pied gauche à terre. En bas, ils ont déjà oublié mon existence, je les entends qui rient à gorge déployée, le rire de Zoé me parvient, strident, saccadé. Ils sont en train de la chatouiller, je me dis.
*

Le son d'un moteur en marche me réveille en sursaut, suivi par le bruit de pneus qui manœuvrent précautionneusement sur les graviers. C'est Hugues et Serge qui s'en vont. Dans ma cage thoracique, soudain c'est comme si les dents de deux fourches emmêlées se desserraient, dégageant assez d'espace pour permettre à l'air de passer, remplir mes poumons, et ma poitrine de se soulever. Mais je me souviens de la soirée, de la manière dont elle s'est finie pour moi et cette horrible sensation de malaise remonte depuis mon estomac jusqu'à ma gorge. Ma tête est lourde, ma bouche pâteuse et acide, je suis en sueur et le chemisier en simili-satin dégueulasse colle à ma peau. Je me redresse et m'empresse de le retirer. Dans ma précipitation, mon bras s'emmêle dans la manche. Je me calme et méthodiquement je parviens à me défaire de la chose. J'enlève mon pantalon, enfile ma robe de chambre. Je remarque que les affreuses boucles d'oreilles sont déjà posées sur ma table de chevet. J'aurai donc eu la présence d'esprit et la force de les retirer avant de m'écrouler hier soir. Il fait encore nuit, mais à la lumière bleutée qui entre dans la chambre, j'estime qu'il n'est pas loin de sept heures. Je regarde par la fenêtre et remarque avec un soulagement intense que la voiture de Hugues et Serge n'est bel et bien plus là. J'aurais toutefois préféré ne pas les entendre partir, qu'ils aient quitté les lieux avant mon réveil. Je voudrais savoir si Zoé est dans sa chambre et je voudrais boire de l'eau. Je me lève et avance sur la pointe des pieds jusque dans le couloir. Zoé n'est pas dans sa chambre et son lit n'est pas défait. Devant l'escalier, je m'arrête et tends l'oreille le cœur battant, mais je n'entends rien. Je me risque à descendre. Doucement, tout doucement, sans faire de bruit. J'entre dans la cuisine, il y flotte une infâme odeur de tabac froid. J'ouvre le placard, prends un verre que je remplis d'eau et que je bois d'une traite, regarde autour de moi. Au désordre qu'il règne dans la pièce, on jurerait que douze personnes au moins y ont festoyé la veille. Un verre ou plusieurs ont été cassés et les débris grossièrement réunis dans l'évier. Devant moi, une trace grisâtre s'étale sur le carrelage. J'avance le pied. Sans surprise, ça colle. Tout ici a servi de cendrier : verres, assiettes, même dans le saladier encore rempli de crème anglaise, surnagent des mégots au milieu des petits monticules de blancs en neige. Ils ont à peine touché à l'île flottante. Savez-vous au moins combien il est délicat de préparer une crème anglaise ? Je pense à mon dessert délaissé au milieu de cette cuisine crasseuse, c'est ridicule. Je pense à Irène. Irène, si tu savais ce qui se passe ici ! Dans la chambre mitoyenne à la cuisine, quelque chose bouge. Je m'approche, un ronflement, un froissement, la porte est entrouverte, je la pousse légèrement du bout des doigts et jette un rapide coup d’œil, entraperçois des jambes emmêlées. Ils sont plus de deux là-dedans.

Je remplis une carafe d'eau et retourne à l'étage. Assise sur le bord de mon lit, buvant un verre d'eau puis un autre, j'attends que vienne Zoé. Ce n'est pas très long avant qu'elle n'arrive, peut-être l'ai-je réveillée. Je l'entends qui monte l'escalier lentement, très lentement, qui passe devant ma chambre et entre dans la sienne. Je me lève alors et vais gratter à sa porte, tout en murmurant son prénom, mais elle ne me répond pas. « Zoé », je répète doucement, en vain. Je prends une longue douche brûlante, le jet d'eau martèle ma tête, je ne connais pas de meilleur moyen pour soulager une migraine. Je me couche dans mon lit sans prendre la peine de retirer mon peignoir et m'enfonce dans le matelas mou. J'aimerais tellement m'endormir, je suis persuadée que je n'y arriverai pas, pourtant je m'assoupis. Mais la lumière du jour m'extrait de mon sommeil et ce second réveil est aussi douloureux que le premier. Mal de tête, vertige, nausée, dégoût. En bas, j'entends le couple Évelyne-Nicolas qui s'active. Ils lavent la vaisselle, passent l'aspirateur, remettent de l'ordre. Puis, ils quittent la maison. La porte claque, la voiture démarre. Par la petite fenêtre de ma chambre, je la regarde s'éloigner sur la route et je descends. La cuisine est propre comme un sou neuf. Seule subsiste cette tenace et épouvantable odeur de tabac froid. J'ouvre la porte de la chambre. Les draps sur le lit sont tirés, lisses, sans un pli. Partout, les fenêtres sont entrouvertes. Je prends le téléphone et compose le numéro d'Irène mais je tombe sur le répondeur ; un peu hésitante, je lui laisse cependant un message. « Viens, Irène, s'il te plaît. Dès que tu peux. »

*

C'est une belle journée d'automne comme on en n'avait pas vue depuis longtemps. Irène a sorti son trench-coat en popeline de couleur ambre, que je connais bien, qu'elle porte depuis des années, mais qu'on dirait neuf, a mis ses lunettes de soleil, et, fait plus rare, a lâché ses cheveux qui, malmenés par le vent, tombent en bataille sur ses épaules. Encore une fois, prétextant qu'elle n'est pas « équipée » pour cela, elle déclare fermement qu'elle ne souhaite pas se promener. Voilà comment on garde intacts un trench-coat et des mocassins achetés quinze ans plus tôt. J'aurais pourtant souhaité m'éloigner du chalet, me soustraire aux autres un instant, et trouver un peu de paix dans le secret de la forêt. Au lieu de cela, nous avançons à pas lents dans les allées du potager, répétant le même petit circuit, zigzaguant entre les poireaux et les navets, et je nous trouve l'air ridicule. Je relate calmement les événements de l'avant-veille, surveillant du coin de l’œil une éventuelle réaction, aux prénoms de Hugues et Serge, par exemple, mais la pensée d'Irène derrière ses verres fumés est impénétrable. Çà et là, je vois ses sourcils qui se haussent au-dessus de la monture dorée, sans que je puisse dire si leur mouvement correspond à de l'étonnement, de l'agacement ou autre chose ; en fait, il m'est même difficile de savoir si elle m'écoute avec concentration, ou au contraire avec une vague attention, mais j'ai déjà la certitude que je ne trouverai pas auprès d'elle le réconfort que je cherche.
— Je ne sais pas quoi te dire, Suzanne, s'il y a quelque chose à dire, parce qu'après tout, tu ne sais pas vraiment ce qui s'est passé après que tu aies quitté la soirée. Et d'ailleurs peut-être qu'il ne s'est rien passé du tout. Et quand bien même, il... y aurait eu quelque chose... Je ne partage pas ces mœurs, mais je serai mal placée pour juger qui que ce soit.
— On dirait que tu ne m'as pas bien écoutée, Irène. Tu réagis comme si tout cela n'avait aucune importance. Et qu'est-ce que tu fais de Zoé ?
Suzanne s'arrête et regarde dans la direction de Zoé. Elle est allongée dans un vieux transat déglingué aux couleurs affadies, emmitouflée dans un gros pull en laine mauve, les yeux fermés et la tête tournée vers le soleil.
— Elle a l'air d'aller bien. De toute façon, Zoé n'est pas ta « petite », Suzanne. Ce n'est pas ta fille et c'est une adulte, libre de faire des choix et de les assumer ou non. Et tu ne seras pas toujours là pour la couver comme tu le fais depuis ton arrivée ici.
— Zoé est une jeune femme fragile, Irène. Et je ne voudrais pas que des personnes malintentionnées profitent de cette fragilité.
Irène pivote sur elle-même brusquement et me fait face, elle baisse ses lunettes afin que je vois son regard sévère et que je mesure bien la portée de ses paroles.
— Là tu y vas un peu fort, Suzanne. Évelyne et Nicolas t'ont accueillie à bras ouverts quand tu n'avais nulle part où aller, ils t'ont logée, nourrie, écoutée, tu es probablement en train de te reconstruire loin de ton mari violent qui n'a aucune idée du lieu où tu te trouves, et aujourd'hui tu les accuses d'être des personnes malintentionnées !
— Ce n'est pas ce que j'ai dit.
Elle tourne les talons et poursuit sa marche, tandis que je la suis en silence, submergée un instant par le doute et par un vague sentiment de culpabilité.
— Et Hugues et Serge ?, je demande, non sans une certaine insolence.
— Eh bien quoi ? Ce sont des gens sérieux et des amis. Si tu veux tout savoir, ce sont des... généreux donateurs.
— Des généreux donateurs ?
J'ai rejoint Irène et marche à nouveau à ses côtés. Elle se tourne vers moi, s'arrête une nouvelle fois, les yeux toujours cachés sous le fumé des verres, mais je sens son regard qui se durcit un peu plus, quant au ton de sa voix, il est froid et ironique.
— Tu arrivée ici, avec quoi, vingt euros en poche ? T'es-tu seulement demandée comment ce lieu pouvait fonctionner, comment Évelyne et Nicolas pouvaient faire vivre toutes les personnes qui passaient ici ? Tu crois qu'il suffit de faire pousser des patates ? Ils ont tout abandonné pour ce projet. Et il y a quelques bonnes âmes, comme Hugues et Serge, qui les soutiennent. Financièrement, j'entends. Oui. C'est comme ça que ça marche.
Je saisis la manche du trench-coat dont le tissu est aussi soyeux que je l'imaginais.
— Et nous sommes tenues de les en remercier ?
Le rouge monte aux joues d'Irène. Elle se dégage de ma prise d'un mouvement sec. Nous nous dévisageons durement l'une l'autre pendant un moment qui me paraît long, avant que, rompant le silence, elle ne reprenne finalement la parole.
— Peut-être qu'après tout le chalet n'est pas un lieu pour toi. Peut-être que le temps est venu pour toi de partir.
Je ne sais pas alors que c'est la dernière fois que je parle à Irène, que ce sont là les derniers mots échangés entre nous. Déjà, elle se retourne et continue à marcher, les mains croisées dans le dos, son imperméable en popeline ondulant sur ses hanches à chaque pas, ses cheveux auburn traversés par le vent qui viennent frapper ses épaules. Je la regarde s'éloigner dans l'allée entre la verveine et le cerfeuil, et puis je fais demi-tour.

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